(1) Le Violoniste

[ereben]

Laloune entra dans la taverne d'où émanaient chaleur, convivialité et mélodieuse musique.

Malgré ce sentiment de totale et permanente perte de contrôle qui l'oppressait depuis le départ improvisé et quelque peu... intriguant de son père adoptif pour un endroit inconnu, elle avait su garder le minimum de tenue qui la rendait extrêmement séduisante. Ses longs cheveux noir de jais parfaitement arrangés cadraient parfaitement avec son regard félin, ténébreux, défiant... Elle était grande, élancée, et cependant de sa façon d'être ressortait une incroyable impression de force. Peut-être ses vêtements de guerrière, en association avec ce regard qui semblait désireux de sang et cette humble mais efficace épée qu'elle portait dans son dos, créaient-ils l'effet de dissuasion - ou d'attirance - chez quiconque pouvait potentiellement s'intéresser à elle.

Tandis que les mélodies de l'artiste lui remémoraient inopinément quelques souvenirs de son père, elle s'avança au comptoir sans daigner accorder d'attention à qui que ce soit.

[Tyrael]

Ces complaintes attirantes. Cette voix suppliante. Il était le seul à les entendre. Elles ne quémandaient qu'une chose : qu'il joue cette air si énigmatique, ancien, et puissant à la fois. A mesure que son archet voguait sur les cordes de son violon, son esprit s'égarait. Il perdait totalement les attaches de son corps, de tout moment présent. La musique le guidait. Des images. Il avait peur de ces images, mais c'était le prix à payer pour jouer ce morceau. Les voix se calmeraient. Elles étaient obligées de se calmer.

D'autres violons se joignaient à lui. Les yeux fermés, l'esprit ailleurs, il entendait les autres instruments se joindre à son violon. Il était partit. Plus rien de réel n'avait de sens pour lui, il s'abandonnait totalement à cette mélodie, cette puissance onirique, et pourtant si simple à réaliser.

Un flash : une femme plantant un morceau brisé de verre dans le coup d'un homme. Un petit garçon pousse une fille du haut d'une falaise. Les cris, les injures, les visages, tout se mêlaient. Il voudrait s'arrêter mais ne put plus rien faire, son bras, tout son corps ne lui appartenait plus. Il était lié à cette musique. Une jeune et belle femme saute pour planter un homme dans le cou. Un homme décharné et le visage livide, le regard vide, se jette d'un pont, une corde attaché autour du cou. Les sons se superposent aux voix. Des os se brisent, des nuques se craquent, des bruits de succion, d'autre d'arrachement, des membres sont déchiqueté. Les hurlements. Un chien saute à la gorge d'un homme, visiblement affamé, les yeux rouges. Il a de la bave qui coule abondamment de sa bouche. La rage.

Il n'en pouvait plus. Son corps ne l'écoutait plus. La fin de la musique était proche. Il n'aurait jamais du la commencé. Mais cet attrait, cet appel...

[ereben]

Le tavernier lui servit ce qu'elle avait commandé. Un repas consistant car sa route avait été longue jusqu'à Evania. La capitale de Kalimdor était une ville dont Alkerion ne tarissait pas d'éloges.

Elle alla s'assoir à une petite table, légèrement en retrait. Elle apercevait alors très bien le musicien. De plus en plus, son jeu lui semblait familier. Si concentré dans son art, elle ne put dans un premier temps analyser son faciès pour distinguer si oui ou non, elle connaissait. Cependant, en y réfléchissant, elle ne connaissait pas 36 musiciens. Encore moins de violonistes. Non, ce serait le plus pur des hasards... Il habite à des centaines de lieues d'Evania.

Elle mangea, intriguée, avec la certitude que malgré l'improbabilité, c'était bien l'ami de son père qui jouait ici avec tant de passion...

[Tyrael]

Le barman regarda le violoniste avec intérêt. Il lui avait donné quelques pièces pour jouer ici, sa renommée était parvenue à ses oreilles par un habitué de bar. Geoffroy. Il aimait bien ce type. Et apparemment, il mangeait peu, et dormait n'importe ou. Les clients étaient légèrement plus nombreux ce soir. Il allait le garder plus longtemps, trois, quatre jours, voire une semaine. Il logerait dans les écuries. Il ne se plaindrait pas et réclamait peu. Les affaires s'annonçaient bien.

En essuyant un verre, Tim sourit devant l'air concentré du violoniste. Un véritable gagne pain.

Cellion acheva son air dans un soupir extenué. Il avait enfin renoué les liens avec la réalité. En ouvrant les yeux, se fut toujours la même déception. Le ton morose et terne de la réalité le déprimait. Il voulait faire encore cet air, mais en fut incapable. Il avait faim, et la fatigue se voyait sur son visage. Il gagna une table un peu en retrait et leva la main vers le barman. Du coin des yeux, il vit une femme qui le dévisager en mangeant. Son visage lui était vaguement familier. Il espérait vivement que ce ne fut pas une femme de ses rêves. Le barman arriva avec entrain.

"Ah, ménestrel, votre musique en à charmé plus d'un, ça oui !
- Merci. Mais j'ai seulement faim maintenant.
- Ah, oui. Du potage, ca vous ira ?
- Avec du pain, merci.
- Je vous apporte ça, l'ami."

Il lui donna une tape forte sur l'épaule en guise de remerciement. Cellion manqua de trébucher de sa chaise, et lui fit un sourire mi figue, mi raison. Tandis que le patron du bar repartait, il posa son violon sur la table et se prit le visage entre les mains. Il mangeait car il devait manger, la fatigue le travaillait encore plus. Plus qu'une envie : dormir. N'importe où, mais dormir. En levant la tête, il vit que la femme le regarder toujours par intermittence. Sans lui prêter attention, il regarda la patron du bar lui préparer son potage.

[ereben]

Elle hésitait. En effet, elle se souvenait plutôt bien de lui, mais lui... se souvenait sûrement beaucoup plus vaguement d'elle. Très vite, elle avait compris que les affaires de son père avec ses amis n'étaient pas censées l'intéresser. Mais elle se souvenait... ces mélodies entêtantes qui sortaient du bureau de son père.

Alkerion lui ayant enseigné qu'il n'était jamais bon de passer à côté de quelque chose d'important par scepticisme personnel, elle se décida. Finissant son plat, elle changea rapidement de table pour aller s'asseoir en face du musicien.

"Je vous connais..." dit-elle, presque sûre d'elle.

Le musicien la regarda un instant, puis détourna le regard. Le mal de tête commençait déjà. Il devait dormir.

"Je suis déjà passé par de nombreuses villes, vous avez du me voir jouer dans un de ces bars.
- Non, répondit-elle avec un petit rire signifiant qu'elle passait outre son refus de poursuivre la conversation. Non, vous ne vous souvenez peut-être pas de moi, mais... mais mon père... (Elle se rapprocha pour parler à voix basse: ) Alkerion..."

[Tyrael]

Son regard se reporta vers elle, étonné. Mal à l'aise, il se remit droit sur la chaise et lui murmura à l'oreille :

"Avez vous une chambre ici ?"

Le barman lui fit un signe et attrapa un serveur pour lui parler à l'oreille. La commande allait arriver.

"Euh... Pas encore..." répondit-elle, prise au dépourvu par une réaction aussi nette.

Cellion comprit trop tard la quiproquo qu'il faisait naître. Il se reprit avec une gêne et une voix mal assurée.

"Faites en sorte d'avoir une chambre pour palabrer, si vous voulez parler avec moi. Je n'ai pas assez d'argent pour les payer. Les chambres."

Elle ne put s'empêcher de sourire face à ses malhabilités verbales. "Bien. J'ai été contrainte, récemment, de m'adjuger une avance sur mon héritage..." Elle héla le patron et lui signala qu'elle prendrait, si possible, une chambre pour deux avec... (elle le regarda d'un air malicieux) lits séparés.

[Tyrael]

Le barman apporta le potage insipide et le pain rassis en même temps que la clé de la chambre. Son rire était remplit de sous entendus moqueurs. Cellion ne le releva pas, et laissa sa nouvelle amie prendre la clé. Il prit son repas dans un silence qu'il considérait comme respectueux puis se leva et manqua de tomber. Il était pantelant à cause de la fatigue. Il demanda à sa nouvelle amie de bien vouloir l'aider à monter jusqu'a la chambre, tout en se tenant la tête dans l'espoir vain que cela puisse calmer sa migraine.

Cela lui fit bizarre d'avoir à aider un trentenaire comme s'il s'agissait d'un vieillard. Elle le fit néanmoins: elle lui prit le bras et le supporta sans peine jusqu'à leur chambre. Elle l'accompagna jusqu'à ce qu'il puisse s'affaler sur l'un des deux lits.

"Est-ce si épuisant d'être musicien ?" demanda-t-elle, sachant pertinemment que la réponse serait probablement moins stupide que la question.

[Tyrael]

"Votre père à du vous apprendre à ne jamais se fier aux apparences."

Avant qu'elle puisse dire quoi que ce soit, il changea de sujet. Tout en parlant, il posa son violon sur la table de chevet, et commença à défaire ses vêtements.

"D'ailleurs, comment va Alkerion ?
- Telle est la question... Cela fait plus de deux semaines maintenant qu'il a disparu comme ça (elle claqua des doigts) sans laisser de traces."

Il enleva sa chemise et la laissa tomber par terre. Puis déboutonna son pantalon.

"Et donner des explications sur ses faits et gestes n'étaient pas de son habitude, si mes souvenirs sont bon. Et aucune idée sur l'endroit où il aurait pu aller ?"

Son mal de crâne empirait. Il voulait simplement poser sa tête sur un oreiller glacé pour calmer cette douleur, et surtout dormir... Dormir. Son pantalon alla rejoindre sa chemise par terre.

[ereben]

"D'après les informations à peu près fiables que j'ai pu rassembler, il aurait été attaqué sur la route des Anka... certains disent qu'il a disparu par magie, ce qui n'aurait rien d'étonnant si ce n'était pas lui ; d'autre disent qu'ils l'ont tué et enterré quelque part, ce qui serait encore plus étonnant..."

Une fois en caleçon, Cellion se glissa sous les couvertures froides, et posa sa tête sur l'oreiller. Son regard était posé sur le violon. Il faisait en sorte de rester éveillé en concentrant son attention sur lui.

"Ca... C'est surprenant en effet. Mais...je ne vois pas en quoi cela me concerne. Enfin, j'aimais bien votre... Votre père, il à tenté de m'aider. Mais en quoi puis je vous aider, moi ?
- Visiblement, vous ne pouvez pas... J'espérais que vous me feriez avancer quelque peu. Evidement, je savais que vous ne me diriez pas c'est par là !" dit-elle en montrant une direction au hasard.

[Tyrael]

Il réussit à sourire après quelques secondes. Sa fascination pour l'instrument devenait flagrante. Les voix recommençaient à lui demander de rejouer cette fameuse mélodie. Plus rien n’avait d'importance à part cette musique. Sa main sortit de sous ses draps et vient caresser le bois du violon. Puis, elle se mit à passer d'une corde à l'autre. Qu'il aimait cette sensation.

"Je crois que... qu'il faut dormir maintenant. Demain. Demain je vous aiderai. Oui c'est cela. Demain.
- Euh... merci."

Il était étrange, oui, étrange. Il avait l'air de n'avoir fermé les yeux depuis une semaine. Et cette façon de cajoler cet instrument...

Elle retira son foulard et, dans la foulée, détacha la bandoulière du fourreau de son épée. Après avoir posé délicatement son arme sur lit, elle resta un moment debout sans rien faire, hésitant entre se coucher ou rester là à déplorer de ne pouvoir faire ses exercices quotidiens aux Talents. Malgré l'absence de son père, elle avait bien sûr continué son évolution et, suivant le même programme que lui (elle avait trouvé l'historique de sa formation dans ses affaires en fouillant pour trouver un indice susceptible de l'aider à le retrouver), elle avait déjà réussi à maitriser 2 nouveaux Talents.

[Tyrael]

Sa main bascula et tapa contre le sol. Avant même que sa nouvelle amie soit dans son lit, il était déjà entrain de dormir d'un sommeil profond. Son mal de crâne diminua. Demain, il ne sentira plus rien, à part quelque courbature aux bras, comme d'habitude.

Se trouvant dans l'impasse elle décida finalement de s'allonger. Peut-être, à force de voyager dans ses pensées, finirait-elle par s'endormir.

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